Depuis le confort de sa chambre
d'adolescent, Vincent ne vois pas le danger. Vincent n'a peur de
rien, croit-il. Vincent ne sait pas ce qui l'attend.
«Si on racontait ma vie, qu'est ce
qu'on dirait de moi ? En quoi suis-je différent ? Je suis
pas beau ni laid, de ce que j'ai vu dans les vestiaires, mon corps
est plutôt normal. Mes notes sont moyennes ; ma vie est
moyenne. Qu'est ce qui fait que je suis différent ? »
Le visage d'en l’entrebâillement de
la porte, Juliette s’esclaffe :
« Oh Vincent, je t'ai juste
demandé pourquoi tu as mis ce t.shirt, tu me fatigues avec tes
auto-psychanalyses d'ado »
« Dégages merdeuse »
répond y t-il en fermant la porte.
Une fois les politesses matinales avec
sa sœur échangées, Vincent lu le mot qu'elle lui avait apporté,
une note de leur parents, encore une fois absents. Vincent en a
l'habitude, il est débrouillard. Après tant d'années seul, à
s'occuper de lui et de sa sœur, il n'a plus peur de la solitude ni
de l'abandon. Ça tombe bien. Vincent n'a pas mis le nez à la
fenêtre, il n'a pas vu ce qui se passe dehors. Ce qui a commencé
pendant qu'ils dormaient. Le sang, les corps qui s'entassent. La
maison est trop loin de la rue pour qu'ils entendent les pleurs, les
cris de désespoir, la rage de ceux qui en ont encore.
Alors qu'il descend vers la cuisine, on
frappe à la porte, le laitier sûrement se dit le garçon. Il
s'apprête à ouvrir lorsqu'il entrevoit une silhouette à travers le
rideau. « Pourquoi le laitier sonnerait-il d'ailleurs ?»
pense Vincent.
Bang bang, des coups de poings
s'écrasent durement contre la porte. Vincent ne prend pas le temps
de demander qui est là, il vient de voir Juliette debout dans la
cuisine. Depuis la fenêtre au dessus de l’évier elle a vu la
camionnette postée devant leur petit bout de jardin. Son index
gauche devant sa bouche et la main droite levée devant elle, elle
fixe son frère le visage blafard.
Vincent sait que ce ne sont pas des
nazis à sa porte, mais il sait aussi que cette journée va être la
plus longue de sa vie.
Devant sa porte, les militaires
s'impatientent. Ils doivent vider le quartier dans la prochaine
heure, pas de temps à perdre.
Vincent se baisse et file vers Juliette
sans que les hommes dehors ne puissent le voir. Il prend la main de
sa sœur et l’emmène vers la porte du jardin. Ils sont tous deux
agiles et n'ont aucun mal à se faufiler discrètement vers les
champs à l'arrière de la maison. Entre les herbes hautes, ils
voient leur voisins se faire emmener, maison par maison dans les
camions. Vincent n'avait jamais vu de morts. Maintenant, c'est fait.
Monsieur Peterlabst a chanté l'hymne international. Il n'aura suffit
que d'une balle pour le faire taire. Juliette cache son visage contre
son frère. Elle regarde la scène qui se déroule devant elle comme
on regarde un film d'horreur, une main devant les yeux pour savoir se
qu'il se passe sans vraiment le voir. Vincent allume la radio sur le
téléphone qui ne lâche jamais sa main. Le journaliste donne un nom
à ce qu'il voit mais ne comprenait pas encore « putsch des
militaires d’extrême droite». Le pays est sans dessus
dessous, le président libérale a été tué pendant la nuit. A
coup de fusil, les militaires ont pris les rennes du gouvernement.
Depuis, ils font le tour des quartiers, karcher à la main. Vincent
n'a aucun doute sur son sort et celui de sa sœur. Leur peau matte
n'est pas tant dû au soleil qu'a un patrimoine génétique de
plusieurs milliers d'années. « Chocolat » comme disait
leur grand-mère. « Juliette, ne fais pas les yeux doux à
ce garçon, on ne peut pas faire confiance aux noirs »
avait-elle réprimandé. « Mais mamie, je suis noire aussi »
avait répondue la jeune fille. « Non ma petite, tu es chocolat » avait expliqué la vieille femme. Vincent sourit au souvenir de cette soirée où ils s'étaient abrités de la neige au cinéma. Puis son visage s’aggrava, noir ou chocolat, ils ne sont pas les bienvenus aujourd'hui.
Vincent n'a toujours pas peur. L'adrénaline étouffe la peur et les herbes hautes les cachent. De là où ils sont, ils ont une bonne
vue sur la rue en contre bas. Il a confiance en lui ; Juliette
aussi. Mais on peut difficilement passer sa vie dans un champs et ils n'y
finiraient sûrement pas la journée, Vincent le sait. « On
doit aller plus loin » explique-t-il. « Où ? »
s’inquiète Juliette, « tu crois pas que maman et papa
vont revenir pour nous chercher ? » demande-t-elle.
« Je ne crois pas qu'il le puisse, il ne vaut mieux pas
compter sur eux », « encore une fois »
pensa-t-il mais il ne dit rien. Juliette ne l'aurait pas toléré,
elle leur fait toujours confiance.
A suivre...
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