23 June 2012

Les sangliers - 1ère partie

      Etre coincé dans les embouteillages c'est énervant. Surtout au milieu d'une forêt. Sophie tape nerveusement sur la commande de l'autoradio en sermonnant “blablablabablabla jouez moi un truc bien au lieu de parler”. Après avoir mis presque 40min pour faire 15km, elle tourne à droite au feu, abandonnant enfin le gros du flot qui continue tout droit. Le compteur monte mais ne dépasse pas la limitation. Ce n'est pas les flics qui l'inquiètent mais les sangliers. Ils sont des centaines à habiter ce parc naturel. Entre son coupé et l'animal, elle sait bien lequel gagnerait au combat.
Un coup d'œil dans le rétro  et elle engage sa voiture dans le sous-sol, s'engouffrant dans le sombre tunnel. Apres plusieurs centaines de mètre, elle arrive enfin devant son parking. Pas un bruit.  Elle sort et ouvre la porte du garage. Les néons clignotent puis s'allument. L'endroit n'est pas plus rassurant baignant dans une lumière blafarde mais Sophie a l'habitude. Comme chaque jour, elle éteint le moteur, referme le garage puis prend le couloir sans même allumer la lumière. Elle monte un étage et glisse sa clef dans la vieille porte en bois brun. Lorsqu'elle s'ouvre, une figure difforme lui fait face. Son cœur s'arrête. Elle ne reconnait pas les yeux verts, le nez fin, les cheveux blonds et courts entourant un visage rond. Ses lèvres fines se détendent vite. Ca n'est que son reflet dans la fenêtre de la cuisine. Amusée par cette fausse peur elle pose son sac sur la commode en pin qui orne l'entrée. A côté trône  une note :  “Courrier”. Une lettre importante doit arriver. Elle empoche ses clefs et ressort. A sa droite la lumière indiquant l'ascenseur clignote. Elle l'ignore et reprend l'escalier. Elle se motive en se disant que chaque effort est bon pour sa ligne. L'été arrive, elle compte bien rentrer dans le petit bikini rouge qu'elle vient d'acheter dans une boutique à la mode.
La porte s'ouvre sur le grand hall d'entrée. Les murs sont ornés de poutres ocre. Sur l'une d'elles sont alignées de petites boites aux lettres. Mais Sophie reste immobile, le parquet est taché.
Son regard glisse de la mare de sang jusqu'au corps de l'enfant allongé devant elle. Elle a déjà croisé le petit garçon aux cheveux bouclés. Elle sait que les deux corps à côté de lui sont ceux de sa sœur et sa mère. Deux sacs de courses sont éparpillés au sol. Sophie comprend vite que la jeune famille a été abattue alors qu'elle rentrait dans l'immeuble. Elle se demande ce que ça veut dire ; fait un pas vers la sortie lorsqu'un coup de feu retentit. La porte de l'appartement de gauche s'ouvre lourdement, un faisceau de lumière perce le hall. La jeune fille se mort la lèvre pour ne pas crier puis fait un pas en arrière pour redisparaître dans les escaliers. 
                                                                                                                                                 
                                                                                                                                                A suivre...

2 June 2012

Le bonheur en famille

          Cette fois, c'est ma sœur qui vient me chercher. Je me tiens devant le panneau indiquant l’entrée lorsque je vois sa voiture vert pomme s’arrêter devant la gare. Je lui souris, monte, l'embrasse et elle me conduit directement à la salle des fêtes.
À chaque fois, c'est la même chose. Ma sœur entre et les autres villageois saluent la jeune fille populaire en souriant puis je rentre et deux questions emplissent la pièce :
1/ comment la cadette du boucher peut-être aussi différente de sa sœur
2/ qu'est-ce que cet Alien fait ici ? 
Mais aujourd'hui, c'est différent. C'est toute ma famille qui remplit la salle.
Un homme se tient au centre de la pièce un verre de champagne à la main. Ses cheveux bruns bien coiffés, son costume trois-pièces cravate beige. Mes yeux font le tour de la pièce : les rubans roses accrochés aux fenêtres ; les tables blanches ornées de confettis et dragées ; les spots et amplis trônant sur les bords de la scène. C'est un mariage et cet homme souriant à la table d'honneur n'est autre que mon frère.
Les larmes me montent aux yeux. "Mon frère se marie et ils m'ont fait la surprise !" Ma belle-sœur vient vers moi tout sourire "je suis contente que tu sois-la " me dit-elle. Je suis tellement émue que j'en tomberais à la renverse !
C'est alors que -tel Iron man- j'analyse de nouveau la pièce. Les assiettes sur la table sont à moitié mangées, ce qui veut dire que j'ai loupé l’Église. J'ai pris mes billets à la dernière minute, ils ne pouvaient donc pas savoir si je serais là ou pas. "Oh mon Dieu, ils ont oublié de m'inviter !»
Les larmes de joies se transforment en larme de colère. Ma belle-sœur et ma sœur comprennent ce qui vient de se passer et font signe à ma mère qui arrive immédiatement.
-"Maman, vous m'avez oublié ?!
-"Bah oui, mais il y a eu une erreur dans les invitations et puis après..."
-"On se parle toutes les semaines et tu ne m'as rien dit ?!" Je l'interromps.
-"Je ne savais pas trop quoi dire et après c’était trop tard "
-"Alors, tu t'es dit que je serais trop bête pour m'en rendre compte ? Dans quel genre de famille on oublie sa sœur, sa fille ?! Vous vous moquez de moi ?!"
Ma colère ne désemplit pas, pendant plusieurs minutes mes hurlements font échos dans tout le village. La haine coule en moi comme le champagne dans leur sang. Je jauge cette famille qui ne m'inspire que dégout.
Ma mère n'est pas du genre à lâcher prise. Je sais que rien ne sert de me battre. Je fait demi-tour, reprends mon sac à dos dans le coffre et pars. Faites vos adieux à l'Alien braves gens. 

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            L'escalier est large, mais il est sombre. Ils devraient mettre des photos de crânes fracturés sur les rampes comme ils mettent des poumons pourris sur les paquets de cigarettes.
Ma nièce est en haut avec une copine. Elles sont debout devant la porte à discuter. Dès qu'elle me voit, elle se tait. Même ses cheveux blonds frisés semblent se figer. Je n'ai pas le temps d'arriver en haut des marches qu'elle m'interpelle.
-"Qu'est ce que tu fais là ?» Son ton est dur. Je ne l'ai jamais entendu parler comme ça. Ça me brise le cœur qu'elle me haïsse, mais c'est une ado, ça fait partie du jeu. N’empêche, je ne suis pas du genre à lâcher prise.
-"Je veux te parler "
-"Pas moi "
-"Je n'ai pas dit que je voulais que tu me parles, tu n'as qu'à écouter "
-"Je n'en ai pas envie "
-"Je ne suis pas exactement en train de te demander ton avis.»
-"Tu comptes me forcer à t’écouter ?"
-"Si tu m'y obliges, je t'attacherais oui, mais tu es assez grande pour comprendre que te débattre serait une perte d’énergie vu que tu finiras par m’écouter. Autant nous éviter cette peine".
-"Je t’écoute, mais je me fou de ce que tu dis »
-"Ca tu ne le sais pas encore".
On peut dire que la conversation ne démarre pas très bien et - même si je ne laisse rien transparaitre - je commençe à avoir peur que l’opération -élimination de la montagne de dédain - soit un fiasco.
Alors que je réfléchis à mon accroche, j'entends un craquement. Je lève les yeux à la rambarde. Je n'ai pas le temps d'atteindre le palier qu'elle tombe dans la cage. L'amie de ma nièce appuyée contre elle et aspirée en arrière. Son corps s’écrase plusieurs mètres plus bas. Ma nièce hurle, mais je ne l'entends pas. Je ne vois que cette tache de sang qui teint les longs cheveux bruns. Puis je vois les lèvres contorsionnées. Elles bougent ! Je redescends les marches quatre par quatre pour arriver jusqu'à la jeune fille.
-"Ne la touche pas " hurle ma nièce
-"Fais-moi confiance " je m’insurge "et appelle les pompiers au lieu de rester la à rien faire !"
Son corps est tordu, elle a surement la jambe et plusieurs cotes cassées. Son crâne aussi est fracturé (je vous avais prévenu). J'arrache un bout de mon t.shirt et applique le tissu sur les différentes plaies faisant des bandeaux quand c'est possible. Je la mets en position de sécurité sur le côté. La jeune fille frêle semble avoir repris ses esprits, je me cale contre elle en attendant les pompiers. Lorsque je lève les yeux, je vois ma nièce qui sourit. Sur ses lèvres il me semble lire “Merci”.